On dit souvent que la lumière jaillit de l’ombre. Mais que se passe-t-il quand on bascule, brutalement, dans le noir complet ? C’est la question que soulève Regards, le roman graphique signé J. Personne et publié chez Glénat. Une BD qui bouscule, qui chamboule, et qui, surtout, nous pousse à voir au-delà du visible.

Luc, réalisateur en devenir… jusqu’à l’accident
Luc, c’est le genre de mec qui a un avenir tout tracé. Il rêve de cinéma, il a du talent, et il vient même de remporter un prix prestigieux pour son court-métrage. La vie s’ouvre à lui comme un grand écran. Jusqu’au moment où… rideau. Un accident de voiture, et tout bascule. Littéralement. Luc perd la vue.
Au début, il y croit encore. “C’est temporaire, ça va revenir”. Son ambition et sa volonté l’ont toujours porté plus loin, pourquoi ça changerait ? Mais les jours passent, le diagnostic tombe, et il doit faire face à une vérité bien plus dure : il ne reverra jamais. Comment imaginer son avenir quand on ne peut plus voir ? Comment exister quand le regard des autres change, oscillant entre pitié et gêne silencieuse ?
Une immersion visuelle bluffante
Derrière ce pitch fort, il y a un véritable tour de force graphique. J. Personne, qui connaît bien le sujet (ancien orthoptiste, rien que ça !), parvient à retranscrire visuellement ce que Luc vit intérieurement. Et autant dire que c’est une expérience !
Le noir domine certaines pages, laissant parfois apparaître des silhouettes floues, des impressions fugitives. On est plongés dans son monde, entre désorientation et réapprentissage. Puis, petit à petit, au fil de son évolution, les formes se précisent, les contrastes se marquent. Comme si ses autres sens prenaient le relais, réécrivant sa perception du monde.
J. Personne s’est fait accompagner de l’association Valentin Haüy de Montpellier et de l’institut ARAMAV pour l’ider a mieux cerner la cecité.

Le regard des autres, entre bienveillance et malaise
Le titre Regards ne parle pas uniquement de celui que Luc ne peut plus poser sur son environnement. C’est aussi celui que les autres portent sur lui. Et là, on touche à une réalité souvent invisible pour ceux qui ne sont pas concernés.
Car oui, la cécité, c’est aussi lutter contre un monde qui ne sait pas trop comment se comporter face à toi. Entre l’assistante sociale trop empathique, les amis maladroits qui ne savent plus quoi dire et les inconnus qui parlent à son accompagnateur au lieu de lui, Luc fait face à tout un panel de réactions, parfois touchantes, parfois franchement agaçantes.
Il y a aussi les petites touches d’humour, notamment dans la manière dont Luc imagine les visages des gens autour de lui. À partir d’un prénom, d’une odeur ou d’une voix, il reconstruit mentalement une apparence. Et parfois, le décalage entre la réalité et ce qu’il s’imagine est assez comique !
Et il y a l’administration aussi, faire reconnaitre le handicap, réccupérer les aides après des mois de paperasse. Une galère !

Un récit sur l’acceptation… et la reconstruction
Regards n’est pas qu’une BD sur le handicap. C’est une histoire de résilience, de combat intérieur. Luc ne se contente pas de subir son sort, il apprend à se réinventer.
D’abord dans le déni, puis dans la colère, il traverse toutes les étapes qui viennent avec un tel bouleversement. Il hésite, il chute (beaucoup), il doute… Mais il découvre aussi d’autres manières d’exister, d’autres façons d’interagir avec le monde. Et surtout, il comprend que ses rêves ne sont peut-être pas morts. Il faut juste les aborder autrement.
Parce que c’est puissant, poignant, et graphiquement audacieux. Parce que ça raconte une histoire qui sort des sentiers battus, sans tomber dans le pathos. Parce que c’est aussi un regard critique sur la manière dont notre société traite la cécité et les handicaps en général. Et surtout, parce que ça nous pousse à voir autrement. FONCEZ !
Une BD qui marque, qui laisse une empreinte. Et qui, soyons honnêtes, fait du bien à nos petits cœurs.
Regards, de J. Personne – 192 pages – Glénat – Disponible le 12 mars 2025