Jeudi 18 mars 2010, j’ai eu l’occasion de rencontrer le réalisateur du film Téhéran : Nader T. Hamayoun. La rencontre était prévue à 19h dans les bureaux de Haut et Court la boîte de production et de distribution du film. Nous étions 3 blogueurs à avoir répondu à l’invitation et à nous être déplacés : LaternaMagica et CinemaIsNotDead.

Nous avions une heure devant nous pour questionner le réalisateur. Chacun à notre tous nous avons posé nos questions et Nader T. Hamayoun répondait comme il pouvait et un nombre important d’informations sur l’Iran et le film Téhéran ont été partagées.

Téhéran est ville belle

1/ Dans le film un des personnages dit « Teheran est une belle ville, mais on s’y égare facilement ». Le récit et la mise en scène rendent compte de cette complexité, d’une ville tentaculaire, d’un sentiment d’urgence. Comment vous y êtes-vous pris ? posée par Laterna Magica

Ce qui a été dit : Téhéran est une ville belle pour ceux qui n’y ont jamais vécu, pour les provinciaux, les étrangers. La ville s’étend, elle ne s’arrête jamais, c’est une ville malade. Elle ressemble à toutes les mégapoles en réalité.

Aller à Téhéran pour un provincial, c’est un progrès social, les gens de province ne savent pas comme ça se passe là-bas. Il n’est pas facile de filmer dans cette ville, car les maux sociaux sont très visibles, tout de suite les problèmes sautent aux yeux et le poids critique est plus lourd. Beaucoup de réalisateurs préfèrent filmer en province ou dans des studios/maisons, car tout devient plus poétique et plus traditionnel.

2/ À propos de l’absence directe de critique sur le régime politique Iranien dans le film (pas de scènes de répression, pas de scène de violence etc) posée par Cinema is not dead

Nader n’avait pas la volonté de montrer la violence de manière directe dans le film, ce n’était pas le but. De plus la violence est cachée à Téhéran, les gens ne s’en rendent pas compte. Le film permet de se faire une idée sur la ville, il n’impose pas de slogan, de positionnement.

Dans le film les forces de l’ordre sont invisibles, on voit par contre la présence d’une “fausse” force de l’ordre qui pille les biens. Pour être diffusé en Iran, souvent il faut montrer un “happy end” grâce à la police des moeurs, parfois, on peut même obtenir un financement si n fait apparaître ces scènes.

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Fantasme du trafic de nouveau-né

3/ Pourquoi se baser sur la rumeur d’un trafic de nouveau-né ? posée par Nivrae

La rumeur du trafic de nouveaux nés est en fait un fantasme collectif en Iran. Nader a pu constater lorsqu’il était à Téhéran que beaucoup de mendiants tenaient des enfants dans leurs bras. Et que parfois l’âge de l’enfant ou des enfants ne pouvaient pas correspondre avec l’âge du père. Nader dit avoir étudié le métier avant de tourner pour ainsi comprendre les techniques, la mise en scène et les manières d’aborder les différents types de personnes.

Chaque carrefour à un prix, il y a même un système de territoire. Comme la donation est dans la culture, mendier est un vrai métier, près des mausolées les plus célèbres certains mendiants touchent entre 4000 à 5000 euros par mois.

Le trafic est exagéré dans le film, car Nader voulait avant tout faire un polar et pas forcément un film hyperréaliste car il ne voulait surtout pas banaliser la réalité.

4/ Vous montrez une face sombre de la ville de Téhéran. Est-ce que vous avez pu tourner librement votre film ? Avez-vous obtenu les autorisations nécessaires ? Avez-vous subi des pressions de la part des autorités ? posée par LM

Nader dit avoir tourné ce qu’il voulait malgré le fait que le projet de son film n’a jamais été réellement présenté aux autorités. En effet, le film comportait des thèmes un peu tabou (prostitution, trafic de drogues, …) et il a donné une image pas forcément positive de la ville, comme pour “servir la soupe à l’étranger”.
Pour tourner dans des lieux où il fallait absolument une autorisation, Nader a prétexté des tournages de documentaires, de courts métrages en fournissant à chaque fois un synopsis de quelques pages avec un message idéaliste (dans le pays beaucoup de réalisateurs n’ont pas de scénario complet au moment de tourner). Nader ne mentait pas complètement dans ces synopsis, il gardait la base de l’histoire pour pouvoir se justifier en cas de contrôle.

De plus le tournage s’est fait 4/5 mois avant l’élection présidentielle, pendant cette période le pays cesse de tourner et les gens sont en attente, car ils ne savent pas s’ils seront toujours à leur poste dans les mois à venir après l’élection.

Le film a été tourné en numérique pour permettre une plus grande liberté car en Iran pour tourner en 35mm il faut d’abord demander une caméra à l’État (qui détient les seules, presque, du pays) puis acheter des pellicules qui coûtent entre 15 et 40euros et enfin payer un laboratoire qui bien souvent appartient aussi à l’État. Du coup en 35mm on est presque contrôlé en permanence.

Nader nous a dit que son film ne serait surement pas diffusé là-bas, car il lui aurait fallu passer par les 2 bureaux de censure pour obtenir un visa de tournage et un visa d’exploitation.

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Tourner un film en Iran

5/ Avez-vous rencontré des difficultés lors du tournage avec l’équipe du film ou les acteurs (par rapport aux violations de la loi/norme en Iran) ? posée par CIND

Pour son tournage en Iran, Nader s’est entouré d’acteurs professionnels et non-pro. Le tournage s’est fait en cercle restreint pour éviter d’attirer trop les regards.
Certaines scènes ont posé quelques problèmes par rapport à des “normes” religieuses que les acteurs voulaient respecter devant l’écran et pour leur éviter les problèmes une fois ce film diffusé.

Les problèmes que Nader a rencontrés sont essentiellement sur 2 scènes : La scène du lit où Ebrahim est allongé prêt de sa femme. Les 2 acteurs ne voulaient pas tourner si proche car la représentation de cette intimité est interdite au cinéma même si en vrai, elle est visible partout (ce qui engendre parfois une impression que les couples ne s’aiment pas au cinéma). Après une heure de discussion, les 2 acteurs ont accepté de tourner par défi à la censure et aussi parce que Nader avait choisi un ton pudique pour la scène.

L’autre scène est celle de la fête, en effet, les jeunes filles qui dansent ne sont pas voilées, il a donc fallu tourner séparément la même scène avec les garçons puis les filles non voilées. Ce qui est étonnant, c’est qu’avant, ils avaient accepté de la tourner en pensant qu’elles auraient un voile même si rien n’était inscrit dans le scénario, pour eux le voile était normal face à la caméra même si dans la réalité quand ils font la fête les filles sont non-voilées.

Cette manière de filmer permettra aux acteurs de dire que Nader les a trompé si on leur reproche d’avoir joué dans une scène où des femmes ne portent pas de voiles, car les professionnels du cinéma verront bien que la scène a été tournée séparément.

6/ Avez-vous un regret sur une scène que vous n’auriez pas pu tourner ? posée par Nivrae

Nader n’avait aucun réel regret car en fait il avait prévu d’avance les scènes qui ne pourraient pas être tournées. Le seul vague regret était que la scène de la fête soit si courte. Dans son idée elle devait durer plus et on devait assister au pillage par la fausse police.

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Asghar Farhadi et le régime politique

7/ Le film d’Asghar Farhadi « À Propos d’Elly » rend compte d’une société du mensonge et ou la peur des autorités iranienne et du pouvoir est presque viscérale. Pensez-vous que votre film rend compte lui aussi de ce rapport très complexe entre le peuple et le régime politique ? posée par LM

En Iran, l’état mène sa vie et la population en mène une autre. Les gens craignent l’autorité et ont l’habitude de vivre en parallèle de l’État.
Dans ce pays, on ne sait pas de quoi est fait le lendemain, ce pays n’a pas/plus de passé et n’a pas encore d’avenir. Ce n’est pas facile pour les jeunes de 25/30 ans qui n’ont même pas de photos/souvenirs d’avant la révolution islamique et qui ne savent pas ce qu’il va se passer demain.

L’héritage culturel Perse aveugle la population, ce passé si prestigieux les rend si fiers qu’ils n’admettent pas “qu’on est dans la merde’.

8/ Quelle est la place du cinéma Iranien en ce moment ? Que pensez-vous de la vision que donne le cinéma de l’Iran ? posée par CIND

Pour Nader, les films iraniens appréciés à l’étranger ont une très grande vertu, car cela rend le peuple fier et c’est une grande chose. Mais ces films ne sont que des représentations partielles du pays, mais si on les combine, on arrive à une image plus vaste et on peut plus facilement avoir un peu de la réalité.
Avec le numérique, l’image du pays est reproduite par les Iraniens eux-mêmes, avec les vidéos et les photo prises avec des téléphones qui sont rediffusées sur le web (blogs, twitter).

Laterna Magica a ensuite voulu prendre des nouvelles du réalisateur Jafar Panahi, arrêté par les autorités iraniennes début Mars. Celui-ci est toujours maintenu en détention même si d’autres ont été libérés la semaine dernière. Nader est un proche de Panahi, car il avait fait la promo de son film il y a 15 ans (Le Ballon Blanc sortit en 1995), à l’époque Panahi avait déjà été arrêté.

L’entretien a duré 1h10. Nader a répondu à nos questions et l’échange était vraiment bon. Je remercie les 2 autres blogueurs pour leurs questions et pour le partage de ce qui a été dit.

Le blog de Laterna Magica
Le blog de Cinemaisnotdead

infos : j’ai repris les questions de tous le monde, ainsi que des infos que je n’avais pas noté (pas facile, Nader parlait de tant de choses !)

Author

Blogueuse spécialisée dans les écrans. Partage son temps entre les bouquins, les jeux vidéo, les séries TV, le cinéma et les podcasts.

1 Comment

  1. Emilie L. (Sailor Lilith) Reply

    Ce film à l’air super, l’histoire est extrêmement originale.

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