Je ne vais pas mentir : j’ai un vrai attachement à Orelsan. J’ai grandi avec lui, j’ai chanté ses textes, je l’ai vu plusieurs fois en concert, et je fais partie de cette génération qui a suivi son évolution. Du provocateur de Perdu d’avance à l’artiste accompli de Civilisation. Alors forcément, quand j’ai appris qu’il sortait un film, Yoroï, co-écrit avec son complice David Tomaszewski, j’étais curieuse.

Et si le film n’est pas parfait, il a ce petit supplément d’âme qu’on reconnaît immédiatement : de l’humour, du cœur, et une vraie sincérité.

Un point de départ très “Orelsan”

Le film s’ouvre sur un Orelsan rincé, vidé par sa tournée Civilisation. On sent la lassitude du succès, la fatigue d’être constamment observé, sollicité, commenté. C’est dans cette énergie que naît le film : celle d’un homme qui, malgré sa réussite, cherche à se retrouver.

Avec son épouse enceinte, il part s’exiler au Japon, loin de tout. Là-bas, dans une maison paisible au pied du mont Fuji, il découvre une armure de samouraï (le fameux yoroï) qui s’attache à lui et attire des créatures du folklore japonais (Yokaï). À partir de là, le film devient une aventure un peu folle, entre comédie, film fantastique et introspection.

L’idée est sympa : une armure censée protéger, mais qui pèse, qui enferme, qui attire les démons. C’est une métaphore, celle de la célébrité, de l’image qu’on porte et dont on ne peut plus se défaire. Et c’est aussi une manière très “Orelsan” de parler d’un sujet intime sans le rendre pesant.

Un mélange de genres sincère et décomplexé

Yoroï n’essaie pas de rentrer dans une case. Et c’est ce qui fait son charme. On passe du gag absurde façon Bloqué à des séquences plus contemplatives dignes d’un film d’auteur, avant de basculer dans un délire d’action à la Shonen Jump. Tout ne fonctionne pas, mais tout est sincère.

Le réalisateur David Tomaszewski (déjà derrière les clips RaelSan ou La Terre est ronde) retrouve ici ce qu’il sait faire de mieux : un univers visuel pop, coloré et chargé de références. Le Japon est filmé avec respect et émerveillement, on sent que ce n’est pas un simple décor exotique, mais un lieu de cœur pour Orelsan. Il y a une vraie tendresse dans la façon dont il aborde cette culture qu’il aime depuis toujours, sans tomber dans la caricature ou l’appropriation facile.

Orelsan joue son propre rôle, et il le fait avec ce mélange d’humilité et de flegme qui le caractérise. Il n’essaie jamais de “jouer l’acteur”. Il reste lui-même, maladroit, drôle, lucide, parfois un peu perdu. Et c’est précisément ce naturel qui rend son personnage attachant.

Son rapport à la paternité, au couple et à la fatigue mentale est abordé sans grand discours, mais avec beaucoup de justesse. Derrière la fantaisie du film, il y a un vrai fond : celui d’un homme qui doute, qui cherche à être un bon compagnon, un futur père, un artiste encore en phase avec lui-même.

Face à lui, Clara Choï, qui joue sa femme Nanako, est une vraie révélation. Elle incarne la force tranquille, la répartie, la bienveillance, et donne au film une dimension plus lumineuse. Ensemble, ils forment un duo crédible, à la fois tendre et complice.

Des monstres, mais surtout des métaphores

Les yokais, ces esprits du folklore japonais, ne sont pas là que pour le folklore : ils incarnent littéralement les angoisses d’Orelsan. Ses peurs, ses doutes, ses pressions, tout ce qui le ronge de l’intérieur prend forme à travers eux. L’armure, censée le protéger, devient un fardeau : celle de la célébrité, du succès, de l’attente permanente du public.

Et au fond, Yoroï parle de santé mentale. De ce moment où tout va bien sur le papier, mais où l’on ne tient plus. De ce besoin de prendre du recul, de se reconnecter à soi, aux siens, et à ce qui fait sens… sans fuir. C’est un sujet très contemporain, et Orelsan le traite avec sa pudeur habituelle : sans grand discours, mais avec sincérité.

Une musique à la hauteur

Impossible de parler d’Orelsan sans évoquer la musique. La bande originale, enregistrée à Abbey Road avec le London Symphonic Orchestra, est une réussite. On sent l’envie de faire un vrai film de cinéma, avec une dimension épique à la John Williams. Et bien sûr, les nouvelles chansons du rappeur apportent une vraie valeur ajoutée dont une avec Thomas Bangalter (Ex Daft Punk).

Le morceau “Tu l’as voulu, tu l’as eu. Maintenant, assume.” résonne comme un manifeste : celui d’un artiste qui sait ce qu’il doit à son succès, mais refuse de s’y perdre. Oui, Yoroï parlera davantage à ceux qui connaissent déjà l’univers d’Orelsan, sa musique, ses obsessions, son humour un peu désabusé. Mais même sans ça, il y a quelque chose d’universel dans ce qu’il raconte : le rapport à la peur, à la responsabilité, à la fatigue d’être soi dans un monde saturé.

Et au-delà de ses maladresses, c’est une vraie bouffée d’air dans le cinéma français. Un film de genre assumé, pop, sincère, généreux. Rare. Yoroï n’est pas un film parfait, mais il a une âme. C’est un conte fantastique drôle et tendre, une autofiction sans prétention, un projet sincère porté par un artiste qu’on a vu grandir et qui, aujourd’hui, se livre autrement.

Derrière les effets spéciaux, les yokais et les punchlines, on retrouve un Orelsan fidèle à lui-même : sincère, fatigué, mais toujours lucide. Et franchement, voir un artiste de sa génération oser une fable japonaise sur la paternité et la santé mentale, c’est déjà un pari gagné.

Author

Blogueuse spécialisée dans les écrans. Partage son temps entre les bouquins, les jeux vidéo, les séries TV, le cinéma et les podcasts.

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