Les années passent et se ressemblent. Comme tous les ans depuis plus de 10 ans, le mois de mai est synonyme de séjour à Cannes et de Festival. Et l’an dernier nous a confirmé pourquoi venir à Cannes est si précieux : parce qu’on y découvre des films sans rien savoir dessus (on garde un souvenir ému de la découverte de Parasite, de Titane ou d’Emilia Perez pour ne citer qu’eux). Alors cette année, on remet ça pour notre plus grand plaisir !

Partir un Jour, film d’ouverture
Le Festival a toujours voulu être un reflet du monde. L’ouverture ne déroge pas à la règle entre le discours puissant et engagé de Juliette Binoche et la plaidoirie anti-Trump de Robert De Niro. Laurent Laffite en maître de cérémonie taquin, mais élégant, en ira de ses traits d’esprit pour appuyer là où ça fait mal. Une cérémonie qui aura marqué autant par sa délicatesse (l’ange Émilie Desquesnes parmi nous et cité au début de la cérémonie) que par sa fougue (un surexcité Tarantino qui ouvrira le festival). Sans oublier Mylène Farmer et son hommage rempli de poésie à son ami David Lynch. Moment suspendu qui aura tiré les larmes de Juliette Armanet pour la première fois, assise dans la salle en attendant la projection du long métrage dont elle est l’héroïne : Partir du jour.
Quand on dit que le cinéma change, que le Festival est à l’écoute, on en a eu la preuve à l’ouverture. Partir un jour, premier film de la Française Amélie Bonnin. Premier long métrage, car Partir un jour, c’était d’abord un court. Un joli court sur l’âge adulte et la question des racines, des amours non consommés du lycée (et jamais oubliés) et des relations avec ses parents. Partir un jour, c’est un court césarisé. Partir un jour, c’est désormais un long dans lequel les rôles ont été changés. Bastien Bouillon héros du court, était celui qui était parti. Juliette Armanet, celle qui était restée. Cette fois-ci, c’est Juliette (Cécile Béguin ça ne s’invente pas) qui a réussi. Elle est à Paris et a gagné Top Chef. Elle revient quelques jours pour aider ses parents, à la tête d’un relais routier. Elle y croise Raphaël (Bastien Bouillon) son crush du lycée. Entre souvenirs et envie de rattraper le temps perdu, ils vont se retrouver.

Déjà, on peut vous conseiller de ne pas regarder avant le court métrage. Même si des choses ont été ajoutées, les rôles inversés, le schéma est le même. Les comiques de situation aussi.
Les chansons ont été étoffées pourtant, c’est la même scène de Femme Like You qui marquera autant l’esprit. Cette fois-ci exit la piscine, c’est à la patinoire que ça se passe. Dans une scène tourbillonnante, les deux amis complices de toujours nous touchent au cœur. Et cette scène d’une poésie folle mérite à elle seule d’aller voir le film. Elle est de celle qui signe un premier film et qui est pleine de promesses pour la suite.
Oui, car Partir un jour a les qualités et les défauts d’un premier film. Des qualités dans sa manière d’être généreux, tendre, marrant, léger. Le casting est charmant. Juliette Armanet est plutôt convaincante dans un film qui repose beaucoup sur elle. Bastien Bouillon est extraordinaire dans la peau de ce beau gosse du lycée un peu has been, mais au charme fou. Sa scène sur Ces soirées-là est un banger. Il dévoile tout son potentiel comique dans ce film et peut nous faire tomber amoureux du film rien qu’en souriant.
Des défauts aussi, car à force de vouloir tout traiter, le film ne va au bout de rien. En basculant son propos au féminin, la réalisatrice veut nous parler de désir de maternité, d’émancipation et d’ambition dans un monde de la cuisine souvent gouverné par les hommes. Alors tout s’enchaîne très vite (trop vite) et certains personnages n’ont pas le temps d’exister. Il en va de même avec les chansons qui sont parfois limitées à deux phrases. C’est parfois un peu too much. Parfois, on en voudrait plus (cette pauvre Nathalie qui a le droit à trois phrases de Benabar).
On en ressort un peu mitigé. On prend le bonbon sucré. On prend aussi tout le message sur les racines, les parents, la vie qu’on doit construire. Mais on avait devant nous la matière pour en faire un très grand. Petit sentiment d’inachevé même si on chantera longtemps le tube de 2b3 à la sauce Armanet.
L’intérêt d’Adam pour Un Certain Regard
Autre sélection et autre ouverture. Cette fois, il s’agit d’Un Certain Regard. La sélection qui défend les cinéastes émergeant a choisi de mettre en avant Laura Wande et son film L’intérêt d’Adam un huis clos au cœur des urgences pédiatriques.
On y rencontre Lucy, infirmière impliquée, Rebecca, mère solo épuisée et Adam un petit gars de 4 ans arrivé ici pour une fracture au poignet liée à une malnutrition. Une mise en scène très naturelle où on suit Lucie sur une après midi. Pratiquement comme un mini-reportage, on passe de chambre en chambre, d’histoire en histoire. On ne sait rien d’elle à part qu’elle a une fille. Tout va très vite. Car tout est urgence. L’urgence de trouver des solutions dans un système de soins qui va mal. L’urgence d’aider une mère et son enfant que les institutions veulent séparer. Dans sa capacité à rendre compte de cette urgence, d’instaurer un cadre en 5 minutes, de nous faire croire aux personnages, le film est une grande réussite.
Les performances de Léa Drucker et d’Anamaria Vartolomei sont saisissantes de sincérité. Le film fonctionne comme un thriller où on sent que tout peut basculer. Que le drame est proche. Inéluctable. On est impuissants et témoins. Complices. Que faut-il faire ? Croire la mère ? Aider l’enfant ? Se ranger à la raison ? Le film épouse le point de vue de Lucy dont l’abnégation et l’envie d’aider sont un exemple.
L’intérêt d’Adam est étouffant, angoissant et sidérant de réalisme. Si on avait un reproche à faire au film, c’est qu’il a du mal à transmettre ses émotions. On ressort de là un peu sonné, mais les yeux secs, comme si on avait été le pire et peut-être le meilleur.
